
Camille, médecin en cancérologie, m’a écrit une lettre ce matin. À mon tour de la partager avec toi ami lecteur, peut-être t’apportera t’elle, comme elle l’a fait pour moi, un peu de douceur. Camille y raconte son confinement et ces petits bonheurs au quotidien et je trouve que ça fait vachement de bien. Merci tellement Camille, de m’avoir écrit ce matin, promis moi aussi, j’essaierai dès demain, de voir ce putain de verre à moitié plein…
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J’aime cette période, c’est un peu indécent de le dire.
J’aime la bienveillance de mes patientes, qui me disent avec les yeux brillants, au téléphone, en téléconsultation ou en face à face, pour celles qui avaient vraiment besoin d’être là, seules, dans un hôpital, au milieu de cette pandémie : « prenez soin de vous Docteur, on a vraiment besoin que vous continuiez à prendre soin de nous »
J’aime éduquer les soixantenaires chers à mon cœur aux règles des réseaux sociaux, mais toujours avec bienveillance (« la liberté dans un cadre »)
J’aime voir dès le matin les vélos accrochés devant mon institut avec leurs portes bébés, signe que les soignants (tous) n’ont pas attendu le début de la pandémie pour devenir des héros
J’aime la cuisine de chef Chaki qui nourrit (toujours plus) mes beaux enfants, ma belle-sœur infirmière de nuit qui passe prendre son petit plat en allant travailler et nous ramène des chocolatines en sortant, une bonne partie des médecins de Bergonié et depuis peu les sans-abris du centre de Bordeaux
J’aime l’initiative citoyenne qui permet de se poser la question « mais au fait d’habitude ils font comment les sans-abris pour manger ?» et d’avoir des vraies discussions avec les enfants parce qu’on a le temps de le faire
J’aime les personnages qui éclairent cette obscurité, Jean Jacques Goldman, Christophe André Gaël Giraud, Maelle Sigonneau, Agnès Labbé et Pierre Alain Lejeune (premier ministre !)
J’aime quand mon petit garçon me demande si nous on est des personnes ou des personnages
J’aime mettre mes robes d’été sans collants même si c’est pas la saison les jours où je fais du télétravail
J’aime dire haut et fort ce que je pense de la gestion de l’hôpital public (surtout quand on ne me demande pas mon avis)
J’aime rire, pouffer, glousser en lisant des messages WhatsApp (et écouter les enregistrements de rires de mes copines et glousser encore plus- de la magie!)
J’aime les équipes à l’hôpital qui se mettent en 4/ en 6/ en 8 pour pouvoir faire enfin aboutir des projets qu’on attendait depuis des mois/ des années
J’aime danser sur (Dr) Shakira sur la table
J’aime la prof de yoga/ ancienne maitresse de ma fille qui met en place des skype yoga qui permettent d’assister à des moments d’incroyable mignonnerie,
J’aime les prescriptions anti burn out pour les copines parce que quand même je suis femme (fan) de psychiatre
J’aime l’éducation approximative, le travail approximatif, la vie approximative , cette vie en « mode dégradé » que les mères de plusieurs enfants connaissent bien (cf 2 semaines après l’accouchement du 2ème enfant où si à la fin de la journée, tout le monde a été nourri et câliné, ça veut dire que le job est fait)
J’aime me faire des petits cadeaux à moi-même (parce que je l’ai bien mérité)
J’aime plier les draps, les nappes avec mon mari, le soir sur notre terrasse. Et puis être tellement heureux de passer un si long moment ensemble, tous les deux, à (presque) rien faire: décider de plier aussi ensemble les serviettes de toilette puis les torchons et les serviettes de table , et rire.
J’aime prendre et avoir des nouvelles des amis, de ma famille, sur le Whatsapp Grand-Père, de tous ceux qui sont loin et régler dans la même journée le problème du système juridique en Californie et le problème du covid en France, (et le cas de mon amie Laetitia) et rire
J’aime faire des apéros FaceTime et rire, beaucoup
J’aime regarder « Seul sur mars » (beaucoup trop tard) et « Maman j’ai raté l’avion » en famille, « Il était une fois l’homme », « les Simpsons », « des prêtres qui courent 10 km sur leur parking », « la messe » (2 fois dans la même matinée, juste pour entendre Etienne de Beaucorps dire « on a passé un coronavirage », et rire encore)
J’aime discuter et débattre (en direct ou par téléphone mais JAMAIS sur WhatsApp ou facebook combien de fois faudra t il vous le répéter) sur « la société va-t-elle changer durablement? Est-ce une bonne chose? Est-ce que la société a un cancer métastatique? (et rire encore)
J’aime regarder mes enfants regarder leur Mamina qui leur lit une histoire en vidéo (et savoir que d’autres enfants comme Gabrielle et Samuel écoutent Mamina leur raconter des histoires)
J’aime voir dans la même journée la bouille d’enfants à 10 000 km dans un sens et dans l’autre (quand on ne peut pas sortir à 1km de chez soi c’est un challenge!)
J’aime ces pépites de l’ombre qui font que ma vie est facile : mes assistantes, avec une mention spéciale pour celles qui n’ont pas le droit d’avoir peur pour elles-mêmes, qui font en sorte que je job soit fait (et vite et bien !) et qui surtout, seules dans leur bureau telles des Raiponce dans leur tour, veillent sur nous et nous font rire
Et aussi ma nounou qui n’a pas pensé une seule seconde à nous laisser en plan, qui supporte un niveau sonore digne d’un stade de foot avec nos quatre enfants de moins de 7 ans toute la journée, qui nous permet de vivre dans une maison en ordre et qui surtout fera en sorte que ma fille saura faire les additions avant les divisons et écrire «maintenant » avant d’avoir fini Harry Potter
J’aime prendre le temps de parler avec elles et rire
J’aime faire des blagues avec mes frères et rire
J’aime faire cette liste à la Prévert et réaliser toutes ces belles choses de ma vie en cette période si importante du temps liturgique où la lumière vainc les ténèbres définitivement et sans retour en arrière, cette liste qui me fait réaliser que je suis tellement à ma place, à la maison ou à Bergonié, ici et maintenant
(Et me demander à quel moment du texte mon père aura versé sa petite larme… et rire encore)
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