
Je t’avais laissé au 43 ème jour de confinement. Depuis, il s’est passé tout un tas de trucs à l’échelle du pays, beaucoup moins à mon échelle à moi on va pas se mentir. C’est que la fin du confinement n’a, dans les faits, eu que peu d’impact sur mon quotidien, vu que pouvoir faire à nouveau la queue chez Zara, ça me disait moyen. Donc depuis le 16 mars ici, les parents continuent de télétravailler, les enfants de home-schooler, et le chat de rien branler. La routine quoi. Mais bon, là que t’es là, je vais développer un peu, histoire que tu n’aies pas l’impression qu’on se foute de ta gueule. Et c’est bien normal. T’as déjà eu un peu le sentiment qu’on te prenait pour un jambon quand on t’a envoyé voter au premier tour, alors ça va bien cinq minutes.
L’école a réouvert ses portes. Ça, ça ressemblait foutrement à une bonne nouvelle ! Les Grandes Sections sont prioritaires. Deuxième bonne nouvelle, on en a justement deux à la maison ! Rien que l’idée de les déposer chaque matin dans leur classe respective provoquait chez la mère la même sensation de liberté que lorsqu’ elle a réalisé qu’on pouvait vivre sans soutien-gorge. Manque de bol, il n’y aurait pas de troisième bonne nouvelle. La mère n’a pas du bien comprendre ce que lui a dit Jean-Mi (Blanquer ndlr). Alors, tu peux penser que la mère est un peu idiote quand même, même pas foutue de comprendre les annonces ministérielles cette conne, mais tu notes que le mec joue grave sur les mots pour te la mettre bien à l’envers. C’est plus un ministre à ce stade, c’est un cadre commercial chez Cetelem le gars. Jean-Mi raconte donc en toute détente que 98 % des écoles sont désormais ouvertes et que l’objectif d’ici le mois de juin est d’arriver à 100 % MAIS, il ne dit pas qu’en fait, seuls 6 gamins seraient accueillis, sous forme de roulement, un SEUL putain de jour par semaine. C’est la maitresse qui le précisera à la mère le lendemain, douchant au passage tous ces espoirs de visio-conf avec l’équipe Com sans être interrompue plusieurs fois pour des raisons d’organisation prévisionnelle plus ou moins valables de sa descendance, avec un focus alimentaire assez prégnant à base de Maaaaaaaaaamaaaaaaaaaaaannnnnnnnnnnnnn, c’est quand le goûter (à 14.15) à Maaaaaaaaaaaaaamaaaaaaaaaaaaaaaa, c’est quand le dîner (à 17.15).
Pour nos Grandes Sections donc, l’accueil se fera le jeudi. Au début, évidemment, on a braillé un peu. Quoi, QUE le jeudi ????, mais c’est largement insuffisant !!!! La mère était colère. Et puis avec le temps et la prise de recul, elle a fini par se dire que c’était déjà pas si mal, et qu’il fallait savourer ce repos émotionnel hebdomadaire plutôt que de rager bêtement. La mère à l’aube de ses 42 ans se voit doter d’un réservoir de sagesse insoupçonné t’imagines pas. A 50 ans, elle tendra l’autre joue tout en proposant un Mars à son agresseur, ça fait pas un pli.
La veille, on avait donc bien briefé les jumeaux sur les conditions de reprise. Le pdf du protocole sanitaire mis en place par l’école Dany Brillant de Meudon fait 67 pages, autant te dire qu’on leur a fait un résumé. Après plusieurs années d’expérience, on s’est vite rendu compte que le temps de cerveau disponible d’un gamin de 6 ans n’excède pas 4 minutes, on s’est donc concentré sur l’essentiel : pas de câlin avec les copains ET vous aurez des Chips à la cantine.
Sur le papier, ça devait rouler impeccable, et puis il a fallu que le karma s’en mêle. La maîtresse adorée de numéro 3, celle pour qui il voue une admiration sans bornes depuis qu’elle l’a nommée « fournisseur officiel de l’heure en classe » et qu’il peut dégainer sa Flik-Flak dino avec une fierté indécente tous les quarts d’heure, cette maitresse-là donc, celle qui est la raison même du bien-être scolaire du fils modèle timide ascendant angoissé, nous annonce la veille au soir qu’elle serait absente ce jeudi et qu’elle sera remplacée par Madame Cachetajoie, modèle vielle école tendance rigoriste.
Dans ce genre de situation, il y a 2 options :
Soit tu préviens le môme en amont qu’il allait devoir composer avec Madame Cachetajoie, et tu t’exposes évidemment à un craquage nerveux en bonne et due forme de ton petit garçon pour qui le changement est aussi agréable qu’un frottis réalisé de nuit par un stagiaire de Norauto.
Soit tu ne lui dis rien, le môme s’en rendra bien compte tout seul jeudi matin et en profitera pour mettre en place une stratégie pour trouver en lui les ressources nécessaires pour gérer les situations d’angoisse.
La mère opte pour la première option – elle sait – digne héritière d’une lignée d’angoissés chroniques – à quel point les situations de stress peuvent être compliquées à gérer en frontal, surtout quand on a 6 ans. Over réaction du môme évidemment, grosses larmes de crocos, refus catégorique de se projeter dans une classe inconnue et tout le bordel. La mère se fait donc pourrir sa soirée de mercredi bien comme il faut, mais elle l’assume. No pain no gain est son mantra depuis qu’elle a accouché sans péri. L’ambiance sur le trajet de l’école du jeudi matin fût évidemment également totalement apocalyptique et c’est là que la mère a commencé à s’interroger sur la pertinence d’une reprise des cours pour un seul jour hebdo si c’était pour se faire chier comme ça.
Un peu angoissée par le déroulement de ce premier jour d’école, mais un peu soulagée de n’avoir pas eu à se cogner des lignes de consonnes en attachée quand même, la mère déboule donc à 16.30 précises pour récupérer ses derniers-nés. Est-ce que Madame Cachetajoie allait ruiner des années de coaching mental sur la nécessité d’aller à l’école ? Est-ce que les élèves ont été capables de suivre les consignes sanitaires, et SURTOUT, avaient-ils eu des Chips à la cantine ?
Je te rassure tout de suite, tout s’est extrêmement bien passé. Il s’avère même que Madame Cachetajoie est en fait « trop gentille » et que chips, il y a eu. Sur les consignes sanitaires, ils ont été plutôt au point. Pas de câlins, ils l’ont bien intégré. Mais l’erreur qu’on a faite – et la mère s’en est rendue compte dès 16.31 – c’est de n’avoir pas précisé « pas de baston » non plus. La mère a récupéré son môme – le mâle Alpha de la fratrie – avec une bonne partie de l’épiderme de l’épaule en moins, un genou ouvert, plusieurs pansements sur les coudes et une énorme bosse sur le crâne (crâne qui n’a d’ailleurs jamais retrouvé son oval naturel depuis son premier coin de table basse à 10 mois). Sa soeur jumelle explique alors que Zules (Oui, on a toujours un gros problème de ce coté là mais le premier rendez-vous orthophoniste que j’ai trouvé est prévu en octobre 2022) à fait la bagarre avec Jean-Mattéo, qu’il a gagné bien sûr, parce qu’il est super fort, mais qu’après Jean-Mattéo lui a fait un croche-pied et que là, Zules, il a volé tellement loin dans la cour qu’on aurait dit un zoizeau. La môme te balance tous ça avec des étoiles dans les yeux comme si elle te racontait le décollage de Space X. Elle a toujours considéré son frère jumeau comme un super-héros, c’est extrêmement mignon. L’atterrissage du zoizeau a du l’être beaucoup moins vu l’état général du môme à la sortie d’école. Tu notes que l’enfant laisse à sa soeur le soin de raconter l’origine de ses blessures de guerre, because the first rule of Fight Club is : you do not talk about Fight Club. L’enfant à néanmoins pris la parole pour justifier son énorme bosse sur le sommet du crâne : « je me suis cogné dans le robinet parce que la maitresse voulait qu’on se lave bien les mains ». La mère n’a pas su s’expliquer comment le gamin arrive à se cogner le haut de la tête en se lavant les mains, mais ça fait longtemps qu’elle a compris que parentalité et maîtrise de risque est aussi illusoire qu’une étude scientifique menée par Raoult. Alors effectivement, c’est pas sûr du tout qu’en l’état le môme passe au contrôle technique, mais le protocole sanitaire est sauf. Merci Jean-Mi.